L'avenir du sport international à Québec?

 

Entrevue avec Marcel Aubut

L'avènement des Nordiques de Québec de l'AMH, l'obtention en 1977 d'une franchise de la Ligue Nationale de Hockey, l'événement de hockey international Rendez-vous 87, la participation importante de Québec dans la course pour l'obtention des Jeux olympiques de 2002, la création de La Fondation Nordiques, tous ces dossiers riment de près avec le nom de Marcel Aubut, dans la région de Québec. La vente impopulaire du club de la LNH, quasi à son apogée, déménagé à Denver en 1995 et auquel tant de rêves étaient attachés, ne le fait pas broncher. Malgré les dernières années moins faciles, côté popularité, l'homme reste fier et marche toujours la tête bien haute. Controversé, il accepte de ne pas être trop au devant de la scène dans la seconde course olympique qui vient de débuter pour l'obtention des JO de 2010.

 

Travailleur acharné, il est loin d'avoir lancé la serviette dans la capitale. Sa riche expérience, ses moyens et sa volonté d'agir font qu'il demeure un acteur incontournable, particulièrement en matière de développement du sport. Invité à partager sa vision de l'avenir du sport international à Québec, Marcel Aubut a accepté d'accorder cette entrevue au cyberjournal COMMERCE MONDE Québec Capitale, qui l'a rencontré dans les bureaux de son cabinet d'avocats Aubut Chabot, le 5 mai dernier, à Québec.

 

Entrevue réalisée par Daniel Allard

(CMQC) M. Aubut, vous avez été un témoin privilégié et souvent un acteur important de beaucoup de grandes choses à Québec au cours des vingt dernières années en matière de sport. Entendons le sport international autant amateur que professionnel. Où en sommes-nous d'après vous, collectivement, en tant que région, à ce titre? Comment voyez-vous l'avenir à Québec?

(Marcel Aubut) "Un potentiel énorme! A mon avis, tout va être tourné vers les Jeux olympiques. Je pense que le mouvement olympique est le meilleur train de tête, le wagon de tête pour être capable d'amener des choses d'envergures ici. On a déjà une infrastructure fantastique qui devrait nous permettre d'avoir des compétitions internationales régulières dans toutes les disciplines... on a tout ce qu'il faut... et on ne l'exploite pas! On parle de tourisme, on parle de toutes sortes de choses. Mais le meilleur moyen pour se faire une réputation, au niveau d'une station touristique, c'est justement d'avoir des événements d'envergures qui attirent l'attention du monde. Avoir de la publicité dans tous les médias du monde. C'est là que ça se joue.

Comme on sous-exploite complètement ce que l'on a, je me dis que le mouvement olympique devrait être le tremplin pour réussir cela. Les gens disent, je vais être mort en 2010, mais ce n'est pas ça. Le mouvement olympique fait qu'entre temps, tu peux améliorer les infrastructures, comme par exemple aller faire la montagne tout de suite, au Cap Maillard. C'est quelque chose qu'il faudrait faire tout de suite. Un, pour enlever la phobie, la maladie que tout le monde a à l'effet que Québec n'a pas de montagne; deux, pour faire des compétitions de grandes envergures tout de suite et que le nom de Québec circule partout dans le monde.

Aussi, la transformation du Mont Sainte-Anne, en faire un mini Mont Tremblant. Et surtout, à mon avis, avoir des organisateurs très forts pour aller faire du lobbying et décrocher ces événements là. Par exemple, je pense à Sports Internationaux (il s'agit de l'organisme Sports internationaux de Québec, créé à la suite de la candidature aux JO de 2002). Il faut renforcer ça au coton et en faire une grosse machine dont la mission est d'aller nous décrocher des événements partout dans le monde. Pas une équipe d'une personne avec une demi secrétaire. C'est aussi important que l'Office du tourisme et des Congrès... On a tout perdu dernièrement. C'est parce que quelqu'un ne fait pas la job, là! Il ne faut pas les perdre."

 

(CMQC) C'était important qu'un Québécois possède les Nordiques et pourtant, maintenant, on laisse d'autres fleurons de notre région passer à des intérêts étrangers (Mont Sainte-Anne, Stoneham) sans que rien ne se dise. On a l'impression que ce n'est plus important. Sommes-nous en train de liquider nos actifs les plus précieux. Qu'en pensez-vous?

(M. A.) "Je ne suis pas d'accord avec vous. Ces types d'entreprises sont devenues tellement spécialisées, pointues, avec des forts rassemblements d'actifs dans le même domaine. C'est inévitable. C'est inévitable... Mais si cet argent de l'extérieur vient pour être investi chez nous, tant mieux, profitons-en. J'espère qu'ils vont en mettre. C'est une évolution des mentalités. On assiste ici à une mondialisation des marchés. Celui qui avait deux montagnes avant va en avoir 75 dans le monde. L'Italie va vivre la même chose, la Suisse, partout. Vas-t'on les arrêter parce que se ne sont pas des locaux qui achètent? Ben non! Partout, ça va être des méga-entreprises installées partout dans le monde. Il faut les accueillir avec le tapis rouge, les soigner, les aider, les supporter. Il faut que tu les invites à dépenser chez-vous au maximum. En plus, ils connaissent ça. Regardez ce qu'a fait Intrawest à Tremblant. Quel miracle! Quel miracle! Avec une montagne qui n'est même pas le Mont Sainte-Anne.

Le hockey, c'est une autre histoire. On connaît tellement ça. C'est tellement dans nos moeurs. On ne peut pas avoir des étrangers qui viennent opérer le hockey chez-nous. La plupart ne connaissent pas ça autant que nous. C'est notre sport national, notre religion et on est capable de créer un sentiment d'appartenance, dans un sport qui est sentimental, connu du public, où il y a une mise en marché à faire.

Mais au niveau des autres sphères, l'argent étranger est le plus cordial bienvenu. De moins en moins, j'entend parler contre les Américains qui viendraient acheter pour développer quelque chose ici. Au contraire, on fêterait... Les gens réalisent qu'on n'a pas suffisamment de capitaux. On n'a pas de sièges sociaux à Québec, la fonction publique a été "downsizée". Nos belles valeurs, il faut que quelqu'un d'autre les prenne en main. On va les aider.

 

(CMQC) Parlons plus précisément de sport international. D'un côté, la région se départi d'acquis importants (Coupe du monde de surf des neiges, Championnat canadien de ski) et de l'autre, on prétend avoir la fierté de pouvoir accueillir des projets comme les JO de 2010. N'y a-t-il pas là une contradiction préoccupante? Autrement dit, pourquoi a-t-on l'impression à Québec que ici, c'est 2010 ou rien?

(M. A.) "Je ne vois aucune contradiction. L'objectif des Jeux Olympiques de 2010 devient la tête de proue. Tous les autres projets de moindre envergure viennent s'accrocher après. Quand vous êtes une ville de candidature olympique, c'est beaucoup plus facile d'aller chercher des compétitions comme une Coupe du monde de ski et de conserver ces compétitions. On a perdu les autres parce qu'on n'était pas organisé. Si vous avez un "set-up" pour les JO, vous avez une structure. Il faut une structure, qui n'attendra d'ailleurs pas 2003 et travaillera immédiatement à décrocher d'autres événements qui vont aider la candidature de Québec. N'oubliez pas que pour décrocher ces événements là, c'est le même monde qui est impliqué. Ca se recoupe, tous ces gens là."

 

(CMQC) Vous l'avez dit dès le début de cette entrevue, vous êtes un fervent promoteur de 2010. Devons nous justement mettre tout nos oeufs dans le panier olympique? Est-ce la meilleure stratégie pour le développement optimal de la région?

(M. A.) "C'est sûr, aucun danger. C'est le train qui tire. C'est essentiel d'avoir cet objectif là ultime. Des alternatives? Ce serait dur. Car on n'a pas d'infrastructure organisationnelle forte pour nous permettre d'organiser ça tout seul. Or, la candidature va nous forcer à nous organiser et on va avoir des budgets.

Un autre exemple, rien ne nous empêche d'avoir le Championnat du monde de hockey. Pourquoi on aurait pas ça à Québec? Au moins, le Colisée servirait à quelque chose. Le Colisée est d'ailleurs plus grand que la plupart des endroits en Europe où se sont tenues les coupes du monde jusqu'à maintenant. Je m'en vais à Zurich dans quelques jours et c'est un projet dont je vais parler là-bas. Pour 1999, c'est déjà décidé. Après, je pense que c'est ouvert. Et je sais qu'ils sont prêts les Européens." (Cette compétition internationale ne s'est jamais tenue hors d'Europe.)

 

(CMQC) Parlons un peu de hockey. Les compagnies commanditent de plus en plus des sports tel le soccer et les investissements majeurs vont de plus en plus dans le récréo-touristique. Croyez-vous que le hockey a perdu sa place de choix à Québec?

(M. A.) "C'est encore LA patente!"

 

(CMQC) Pourquoi?

(M. A.) "Je dois noter un petit désintéressement. Pour plusieurs raisons: 1- au Québec on n'est plus capable de se payer une vrai vedette; 2- le style de la LNH est devenu plate; 3- la rivalité Québec-Montréal est disparue; 4- le coût pour assister à un match a augmenté.

Malgré cela, les gros sponsors, les gros sous se dépensent encore là. Je pense qu'à Montréal ils font de l'argent comme jamais. Je serais curieux de savoir les profits qu'ils font à Montréal."

 

(CMQC) A Québec, faut-il lancer la serviette et se résigner à voir disparaître le fleuron de notre sport national à petit feu? Investir nos énergies ailleurs?

(M. A.) "A Québec, on va avoir du mineur. Il y a aucun doute qu'il y a de l'argent disponible. L'argent ne s'en va pas seulement dans la culture. C'est l'argent des Nordiques. Où va cet argent? Moi je pense qu'il va beaucoup dans le cinéma. Mais il reste encore de l'argent disponible. Il manque juste des événements."

 

(CMQC) Si vous aviez une baguette magique, le pouvoir de changer quelque chose à Québec, que feriez-vous, au niveau du rayonnement international?

(M. A.) "A part 2010, je développerais le Mont Sainte-Anne pour en faire une station internationale. Beaucoup plus grosse que ce qui est présentement prévu; 150 millions $, ça ne donne plus rien. Il faut un milliard $, incluant l'immobilier!"

 

(CMQC) Que voudriez-vous le plus réaliser pour Québec?

(M. A.) "Rien de particulier. Comme ça va arriver. C'est trop tôt pour identifier ça. Quand je vais voir quelque chose que j'aime beaucoup, je vais le pousser pour être sûr que ça marche. Un moment donné, une opportunité va se présenter... Je vais faire ma part!

A mon âge, on est plus docile, on est plus patient un peu aussi... Oui, j'attend. Je cherche une opportunité."

 

(CMQC) Voulez-vous vous venger d'avoir été obligé de vendre les Nordiques?

(M. A.) "Pas me venger, c'est pas une vengeance. Je ne dirais pas une revenche. C'est une sorte de devoir moral d'essayer de remplacer ça au maximum."

 

(CMQC) Quel sera le prochain club de hockey professionnel à Québec?

(M. A.) "Il y en a déjà un, il serait mal vu pour moi de répondre... Il faut que ce soit le club qui est déjà là, racheté par le groupe de Michel Pagé pour le gérer. Je suis certain qu'il est capable de faire un succès avec ce club de la Ligue internationale. Je l'espère... Il n'y a pas d'autre alternative. Il faut que Pagé réussisse... c'est sûr."

 

(CMQC) Que pensez-vous de l'arrivée du baseball professionnel à Québec?

(M. A.) "Je suis totalement d'accord avec ça. Je pense qu'il y a une demande pour ça. C'est une surprise. Une belle surprise... Je ne l'avais pas prévu, je l'avoue. Je suis très heureux de ça. Et J'espère qu'un jour on aura ici un autre club ferme des Expos, qui sera affilié avec notre club de Montréal."

 

(CMQC) Vous êtes une des rares personnes dans la région de Québec qui a assisté à tous les Jeux Olympiques des dernières années. En quoi ces JO ont-ils le plus changé et comment voyez-vous Québec s'inscrire dans cette évolution?

(M. A.) "Ce qui a le plus changé, c'est l'amplitude et les revenus. C'est devenu tellement gros! Tellement gros! L'événement mondial à tous les deux ans. Avant, il y avait des grandes expositions comme Expo 67. Maintenant, avec les argents disponibles, il viendra un temps, probablement pour 2010, où il n'y aura même plus de déboursé à faire pour la région d'accueil. Imaginez, un événement de 1,5 milliard $ payé par le monde entier. Il faut être malade dans la tête pour être contre les JO. Il faut être fou. Pour les sponsors, ça devient l'AFFAIRE à faire.

Ca va être incroyable! Tout va rentrer là-dedans. La TV payante, la TV numérique On ne peut pas imaginer. Pensez seulement au niveau technologique. Les caméras sur les lames de patins à Nagano... La meilleure chose à faire, c'est de vendre Québec au CIO, d'inviter ses représentants plusieurs fois pour qu'ils goûtent la ville, pour qu'ils aient vraiment le goût de venir y passer trois semaines lors de la tenue des jeux. Les JO de 2010, on n'a pas le droit de lever le nez là-dessus pour nos jeunes."

 

(CMQC) Au nom des lecteurs de COMMERCE MONDE Québec Capitale, merci pour ces explications et meilleurs voeux de succès pour vos prochains défis.