Depuis quatre ans, 24 entrevues exclusives ont été publiées dans COMMERCE MONDE: | |
Aubut,
Marcel |
Hamelin,
Louis-Edmond |
"...vous n’avez pas avantage à augmenter le nombre des États souverains." - Boutros Boutros-Ghali Entrevue avec Boutros Boutros-Ghali, secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie Entrevue réalisée par Daniel Allard | |
De passage à Québec dans le cadre de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie (APF), Boutros Boutros-Ghali a accepté de répondre à la demande d’entrevue de COMMERCE MONDE. Aux cinq minutes demandées pour une seule question – question par ailleurs que le cyberjournal souhaite pouvoir bientôt poser au premier ministre du Québec, Bermard Landry – le diplomate de carrière a accepter de consacrer plus de 20 minutes, pour prendre le temps de bien cerner l’enjeu en question. Nous le remercions pour sa générosité. Cette entrevue a eu lieu le mardi 10 juillet à l’Hôtel Loews Le Concorde de Québec. Nous remercions également Claude Boucher, du Service du Protocole à l’Assemblée nationale du Québec et responsable des relations de presse pour monsieur Boutros-Ghali lors du séjour de ce dernier à Québec. | |
Selon vous, combien faut-il de pays souverains dans le monde pour obtenir une gouvernance mondiale efficace, efficiente, permettant d’assurer la survie à la fois de la démocratie, mais aussi de la planète? Car il y a urgence, ne trouvez-vous pas? (Boutros Boutros-Ghali) "Première remarque: ce qui est important, c’est d’abord qu’il y ait une volonté politique des États. Et la volonté politique des États n’est pas toujours au rendez-vous face aux questions internationales... Il n’y a pas encore d’approche globale. Lorsque, par exemple, un problème d’ordre mondial survient, je dirais qu’il n’y a qu’une vingtaine d’États qui s’intéressent aux questions internationales. Et ce ne sont pas toujours les mêmes, d’ailleurs. Il faut bien comprendre qu’encore aujourd’hui, face aux questions internationales, il y a des réponses sous-régionales, locales, mais presque jamais globale. L’absence d’approche globale fait ici problème... Ce qu’il faut, c’est encourager les États à s’intéresser aux questions internationales! Ce qu’il faut, Deuxième
remarque: il y a également des acteurs non-étatiques (ONG, associations
des maires, des parlementaires, des universités, des grands intérêts
financiers…). Comment s’organiser pour les faire participer? C’est un
problème évidemment plutôt d’ordre technique. Et ici je ne veux pas dire
que je veux diminuer le rôle de l’État nation... D’ailleurs, chaque État a
la capacité de jouer un rôle important sur la scène internationale.
Prenons deux exemples de l’histoire contemporaine: Voilà deux cas très manifestes où de petits États ont joué un rôle de grands États sur la scène internationale. Permettez-moi de vous rappeler mes trois « Agenda ». Le premier était pour la paix... et plus récemment, j’ai publié celui sur la démocratie. «L’Agenda pour la démocratie». J’y aborde la problématique que vous soulevez avec votre question. Je le répète, il faut encourager les États à s’intéresser aux questions internationales! En 1978, lorsque j’étais ministre au gouvernement égyptien et que j’ai voulu créer le Fonds égyptien pour l’Afrique, j’ai presque manqué mon coup! J’ai du taper sur la table et convaincre les autres ministres qui disaient: «Pourquoi donner de l’argent aux autres pays d’Afrique, alors que notre propre population a des besoins criants?» J’ai alors dit que s’ils ne donnaient pas d’argent à l’Afrique maintenant, ils auraient le communisme, ici-même, en Égypte, dans quelques années seulement! Je leur ai dit: une guerre coûte beaucoup plus cher que les quelques millions $ que je vous demande aujourd’hui… Ils ont finalement accepté de créer le Fonds d’aide… La question de la volonté politique est fondamentale." (CMQC) Donc vous sous-entendez que notre question n’a pas de base? (B. B.-G.) "Si on encourage la micro-étatisation, c’est évident que nous allons nous retrouver avec encore plusieurs centaines de nouveaux pays souverains... Je suis d’accord avec vous que vous n’avez pas avantage à augmenter le nombre des États souverains. Mais ce n’est pas un problème; ou disons plutôt que c’est un problème qui n’est pas important. Il y a tellement de formules qui peuvent être utilisées pour permettre le fonctionnement de la gouvernance qu’importe le nombre d’acteurs dans le système. Je pense ici à l’OIT (l’Organisation internationale du travail), qui a son siège à Genève et qui fonctionne depuis longtemps avec une parité à trois: entre des représentants du patronat, des représentants du milieu des syndicats et des représentants des États. L’OIT a été créée avant la Société des Nations! C’est un modèle de fonctionnement qui est malheureusement peu connu et qui fonctionne depuis longtemps. » (CMQC) Mais vous, excusez-moi d’insister, si je vous demande de mettre un nombre idéal, ce qu’on pourrait entendre comme une cible, un ordre de grandeur de nombre de pays souverains que devrait compter une planète gouvernable. Acceptez-vous de nous livrer votre opinion à ce propos? (B. B.-G.) "Il y a des philosophes qui ont élaboré des projets à ce propos dès le XIièm siècle… Farabi, autre exemple (philosophe et savant iranien, 872-950) avait déjà beaucoup réfléchi sur un idéal du genre... ces idées de «Cité vertueuse»... Mon idée est plutôt simple. Nous avons des acteurs non-étatiques qui profitent de la paix, mais qui ne participent pas formellement à la gouvernance. Autant leur donner un rôle! » (CMQC) Merci! |