Le (vrai) défi du maire de Québec

L'actuel maire de Québec, Jean-Paul L'Allier, agit comme s'il allait tenir sa parole de ne pas se représenter pour un quatrième mandat, lors des élections municipales de novembre 2001. Tant mieux! Il donne vraiment l'impression de vouloir régler des comptes avec l'histoire en faisant marque d'une détermination et de la saine liberté d'action de celui qui agit sans les arrières pensées du politicien qui ne veut pas nuire à ses chances de garder le pouvoir. Toute à son honneur, cette attitude pourrait bien se retourner contre lui, et lui permettre de réaliser de si belles grandes choses pour ses concitoyens que ceux-ci lui donneront le goût de revenir sur ses intentions. Mais rien ne sert de spéculer longtemps sur cette question, bientôt l'avenir dira jusqu'où sa franchise était profonde!

Ce qui urge davantage, c'est d'espérer voir poindre dans les choix stratégiques de nos élus de la région - maire de Québec en tête - des choix responsables face à notre avenir collectif.

Pour le temps qu'il lui reste, le maire L'Allier affiche une très grande détermination - tant mieux! - à vouloir léguer à Québec un avenir de ville-région unifiée avançant à l'unisson dans le concert des villes mondiales de plus de 500 000 habitants. Il ne le dit pas souvent en public, mais il pense sûrement que Québec serait aussi mieux armée pour faire la vraie bataille de la mondialisation: l'opération charme des villes-régions devant le capital-développement qui tourne autour de notre petite planète.

Malheureusement, cette ville-région se dépeuple, vieillit rapidement et se vide de trop de ses jeunes cerveaux. Si on croit les statistiques qu'utilise la direction régionale du MAPAQ, sa "région de Québec" (02)  - soit la partie nord du fleuve Saint-Laurent de la grande région de la capitale qui concerne Québec et toute sa ceinture verte de Portneuf à Charlevoix-Est, L'île-d'Orléans incluse - comptait 660 900 habitants  en 1996, mais 659 900 en 1998. Que 1 000 de moins! Maigre variation de -0,002%, répliquerez-vous! C'est la tendance, ici, qui doit alarmer. Pas le chiffre en soi.

À Québec, on parle rarement d'immigration internationale. Le pays a pourtant déjà connu une période où même les villes s'impliquaient énormément en matière de recrutement de nouveaux citoyens à travers le monde. Avec le même préambule, Jean-Paul L'Allier répondait ceci, en septembre 1998, à la question: "Ne voyez-vous pas là une clé importante du développement économique de la région?":

"On est la seule ville qui a déposé un mémoire assez costaud au ministre Boisclair, il y a deux ans... On a déposé tout un argumentaire là-dessus et on n'a pas eu d'échos. Le ministère a dit merci beaucoup bonjour et ils sont repartis avec ça. Je pense que Québec a un potentiel d'accueil, à condition qu'on le dise... mais c'est difficile de dire dans quel domaine d'emploi on est capable comme région de recevoir des immigrants. Je reçois tous les jours des lettres de gens qui disent je suis prêt à aller travailler chez-vous. Mais ils n'ont pas le 500 000$ en tant qu'investisseur ou ils correspondent au domaine pour lesquels on a 10% de chômage. C'est terminé! On a une politique d'immigration qui n'est pas basée sur le développement, mais qui est basée sur l'économie. En d'autres mots, c'est uniquement quand il y a un apport à court terme, qu'on va accueillir du monde, alors qu'un territoire comme le nôtre devrait avoir une politique - je le dis comme je le pense - de peuplement , à un certain point de vue, en étant accueillant y compris pour des gens qui n'ont pas d'emploi, mais qui ont du potentiel pour s'en développer... On travaille fort, mais on n'a pas les ressources pour faire ça." (Voir Entrevue dans CMQC #7 de septembre 1998)

Et voici nos notes de ce qu'il disait comme conférencier à l'ARC 99, en novembre dernier, sur le thème "L'internationalisation de la région de Québec":

«C'est discipliné l'international, et rigoureux... Il y a un prix pour tout cela, pas nécessairement en dollars... Imaginez le coût de ne pas le faire?... Des délégations qui viennent nous voir ne viennent pas par politesse. Ils savent ce qu'ils veulent. Et nous, on doit le décoder avant qu'ils soient là... Que sont les règles de l'international de notre région?

1.Un passé glorieux, un avenir confidentiel! Les Américains nous le disent souvent. Nous sommes le secret le mieux gardé en Amérique. Nous avons donc l'obligation de bien se faire connaître... À l'encontre de beaucoup de préjugés locaux... Ce qui implique patience, ténacité et courage... Il faut donc se connaître et se reconnaître...

2.Se reconnaître et pousser nos élites...

3.Se faire connaître...

4.Se donner une stratégie...

5.Et la stratégie, elle n'a de sens que si elle débouche sur l'action.»

Stratégie! Action! Il ne faut évidemment pas faire dire à ces mots - repris largement hors contexte - ce qu’ils ne veulent pas dire. Peut-on y décoder un message clair d’engagement face à l’enjeu de l’immigration? Difficile ici de parler de clarté!

Le 22 mars dernier, la Ville de Québec souhaitait officiellement la bienvenue à quelque 272 nouvelles familles, provenant de 42 pays différents, qui ont choisi de s'établir à Québec en 1999. Initiative très louable, que la ville tient maintenant annuellement depuis 1997. L'année d'avant, en 1996 (1), on dénombrait 5830 immigrants sur les quelque 170 000 habitants de la ville de Québec dans ses limites actuelles, soit un petit 3% de la population de Québec, évidemment la population immigrante la plus importante de la Communauté urbaine de Québec.

"Le principal problème est de garder ici ceux qu'on réussit à attirer", plaidait alors le maire suppléant Claude Cantin. II faut deux ans pour traverser les procédures avant d'accueillir une famille de réfugiés qui se porte volontaire pour immigrer à Québec. Un ingénieur français avec dix ans d'expérience doit retourner à l'école pour se trouver un emploi. Non, ce n'est pas encore une vraie politique de la main tendue et de la porte ouverte. Le défi est posé. À quand des solutions sérieuses, avant que le vrai problème ne devienne, lui, trop sérieux?

Un rapport de l'ONU tout chaud, publié en mars, explique que l'Europe, xénophobe ou non, aura besoin d'immigrants pour rester compétitive et pour être capable d'assumer les besoins de sa population vieillissante. Si la France veut simplement conserver la proportion des personnes en âge de travailler par rapport aux retraités au niveaux d'aujourd'hui, elle devra accepter jusqu'à 40 fois, oui 40 fois, plus de migrants que ces 10 dernières années. Si l'Italie ne veut pas accepter 2,2 millions d'étrangers par an, elle devra porter l'âge de la retraite à ...77 ans!

Mais ne nous trompons pas, c'est le Québec qui représente le territoire en Occident où le processus de vieillissement de la population se fait le plus vite. Et c'est ici aussi que la fécondité garde des niveaux planchers loins de ressembler à des pistes de solution. Que faire si même la natalité ne joue pas son rôle? Le Québec, comme sa capitale, sont ici des perdants sur ces deux plans.

Si la natalité du Québec est gravement malade, la natalité planétaire est, elle, en grande santé. La Terre pullule d'enfants. L'idée de leur ouvrir les portes de nos écoles qui se vident, à eux et à leurs parents, est-elle irréaliste? Pourtant, il le faudra!

"On n'est pas à l'époque où les pays se peuplaient d'une main-d'oeuvre dont les bras étaient la principale caractéristique, pour aller travailler sur des terres!", soutient qu'en à lui Robert Perreault, l'actuel ministre responsable de l'immigration au Québec, qui se prépare d’ailleurs pour la commission parlementaire qui doit se réunir dès mai prochain pour débattre de son plan triennal d'immigration 2001-2003. Vision un peu simpliste! Et si on osait aller chercher 100 000 Québécois de plus par an, 10 000 pour la région de la capitale!

Déclarons la guerre à nos problèmes de population et imaginons seulement des mesures en conséquence. Et n’est-ce pas surtout face aux enjeux de cette nature qu'il faut réfléchir sérieusement sur les opportunités qu'offre une réorganisation des structures régionales? De quelle sorte de ville, de combien de villes, avons-nous collectivement besoin dans la grande région de la capitale pour relever ce défi de l'accueil des immigrants voulus?

Daniel Allard
Rédacteur en chef


NOTE (1): En 1991, cette population était de 4 895; entre 1991 et 1996, la Ville de Québec a donc accueilli environ 200 nouvelles personnes immigrantes annuellement.